Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud
Lettre autographe signée à sa famille
Daté d'Aden 28 septembre 1885.
3 pages petit in-8 l'encre noire.
Magnifique et terrible description d'Aden.
« Mes chers amis,
Je reçois votre lettre de fin août. Je n’écrivais pas, parce que je ne savais si j’allais rester ici. Cela va se décider à la fin de ce mois, vous le voyez par le contrat ci joint, trois mois avant l’expiration duquel je dois prévenir. Je vous envoie ce contrat pour que vous puissiez le présenter en cas de réclamations militaires. Si je reste ici, mon nouveau contrat prendra [effet à partir] du 1er octobre, Je ferai peut-être encore ce contrat de 6 mois. Mais l’été prochain je ne le passerai plus ici, je l’espère. L’été finit ici vers le15 octobre. Vous ne vous figurez pas du tout l’endroit. Il n’y a aucun arbre ici, même desséché, aucun brin d’herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d’eau douce. Aden est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer. On n’y voit et on n’y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent produire le plus mince végétal. Les environs sont un désert de sable absolument aride. Mais ici les parois du cratère empêchent l’air d’entrer, et nous rôtissons au fond de ce trou comme dans un four à chaux. Il faut être bien forcé de travailler pour son pain, pour s’employer dans des enfers pareils ! On n’a aucune société que les Bédouins du lieu, et on devient donc un imbécile total en peu d’années. Enfin il me suffirait de ramasser ici une somme qui placée ailleurs, me donnerait un intérêt sûr à peu près suffisant pour vivre. Malheureusement le change de la Roupie en francs à Bombay baisse tous les jours, l’argent se déprécie partout, le petit capital que j’ai (16000 francs) perd de valeur, car il est en roupies, tout cela est abominable, des pays affreux et des affaires déplorables, ça empoisonne l’existence. La Roupie se comptait autrefois 2 frs 10 cents dans le commerce, elle n’a plus à présent que 1.90 de valeur ! Elle est tombée ainsi en 3 mois. Si la convention monétaire latine est resignée, la roupie remontera peut-être jusqu’à 2 francs. J’ai à présent 8000 roupies. Cette somme donnerait dans l’Inde, à 6% 480 Ries par an, avec laquelle on peut vivre. L’Inde est plus agréable que l’Arabie. Je pourrais aussi aller au Tonkin ; il doit bien y avoir quelques emplois là à présent. Et s’il n’y a rien, là, on peut pousser jusqu’au Canal de Panama, qui est encore loin de finir.
Je voudrais bien envoyer en France cette somme, mais cela rapporte si peu ; si on achète du 4 1⁄2 on perd l’intérêt de deux ans ; et du 3 % ça n’en vaut pas la peine. D’ailleurs au change actuel des Roupies, il faudrait toujours que j’attende, à présent on ne me donnerait pas plus de 1,90 pour paiement comptant en France. 10 % de perte, comme c’est agréable après 5 ans de travail !
Si je fais un nouveau contrat, je vous l’enverrai. Renvoyez moi celui-ci quand vous n’en aurez plus besoin
Bien à vous,
Rimbaud ».
La plupart des lettres d'Abyssinie contiennent de précieux détails éclairant la situation de Rimbaud et elle-ci ne fait pas exception. Mais plus rares sont celles où, comme dans la présente, celui qui, selon la formule de Stéphane Mallarmé, s'était "opéré, vivant, de la poésie", laisse passer quelque chose de son écriture littéraire.
Lorsqu'il écrit cette lettre, Rimbaud est en Abyssinie depuis cinq ans. Employé par la maison commerciale Bardey et Cie, il fait des allers-retours entre Aden et Harar jusqu'en septembre 1885, date à laquelle il quitte Bardey. Le 10 janvier 1885 il avait renouvelé son contrat avec la maison pour une durée d'une année (à 160 roupies par mois). Ce nouveau contrat stipulait que si l'une des parties désirait ne pas renouveler le contrat, elle était tenue d'en informer l'autre "trois mois avant la fin de l'année".
Rimbaud est donc dans à un tournant de sa "carrière" abyssinienne et s'en fait l'écho ici : "Je n’écrivais pas, parce que je ne savais si j’allais rester ici. Cela va se décider à la fin de ce mois, vous le voyez par le contrat ci joint, trois mois avant l’expiration duquel je dois prévenir. Je vous envoie ce contrat pour que vous puissiez le présenter en cas de réclamations militaires. Si je reste ici, mon nouveau contrat prendra [effet à partir] du 1er octobre, Je ferai peut-être encore ce contrat de 6 mois."
Il a en vue un autre engagement, par Pierre Labatut, un négociant de la région du Choa, pour organiser là-bas des caravanes.
Mais la lettre importe surtout pour la terrible description d'Aden qu'il livre à sa famille et l'état d'exaspération qu'elle manifeste, qui ne semble jamais avoir quitté Rimbaud : "Vous ne vous figurez pas du tout l’endroit. Il n’y a aucun arbre ici, même desséché, aucun brin d’herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d’eau douce. Aden est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer."
Comme emporté par sa description, il se laisse aller à une forme de lyrisme, qu'il muselle d'ordinaire : "On n’y voit et on n’y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent produire le plus mince végétal. Les environs sont un désert de sable absolument aride. Mais ici les parois du cratère empêchent l’air d’entrer, et nous rôtissons au fond de ce trou comme dans un four à chaux."
Ce n'est une saison, mais cinq années que Rimbaud vient de passer en enfer. Le terme même est cité dans la lettre "Il faut être bien forcé de travailler pour son pain, pour s’employer dans des enfers pareils !"
"J'aurai de l'or", écrit Rimbaud dans Une saison en enfer. Et ici, sous une forme triviale, comme un écho dérisoire de sa formule : " Enfin il me suffirait de ramasser ici une somme qui placée ailleurs, me donnerait un intérêt sûr à peu près suffisant pour vivre."
A l'enfer extérieur s'ajoute l'enfer spirituel : "On n’a aucune société que les Bédouins du lieu, et on devient donc un imbécile total en peu d’années."
Paysages désolés, société désolante, Rimbaud semble prendre une sorte de plaisir masochiste à décrire sa situation : "Tout cela est abominable, des pays affreux et des affaires déplorables, ça empoisonne l’existence.”
Il n'a certes pas trouvé ce qu'il était venu chercher en Abyssinie (quoi que ce fût), et son éternelle insatisfaction le pousse à échafauder mille nouveaux projets semi chimériques : les Indes, le Tonkin, Panama : "L’Inde est plus agréable que l’Arabie. Je pourrais aussi aller au Tonkin ; il doit bien y avoir quelques emplois là à présent. Et s’il n’y a rien, là, on peut pousser jusqu’au Canal de Panama, qui est encore loin de finir."
Fureur rentrée, lyrisme affleurant, rêves de nouvelles évasions, cette lettre fait assurément partie des très belles que Rimbaud écrivit à sa famille d'Abyssinie.
Elle a été citée pour la première fois en 1897 dans Paterne Berrichon, Vie de Jean-Arthur Rimbaud et, par la suite, dans la plupart des biographies du poète.
Provenance : Pierre Berès (catalogue n° 56) - Du Bourg de Bozas (bibliothèque du château de Prye, Hôtel Drouot, 1990).
Arthur Rimbaud
Lettre autographe signée à sa famille
Daté d'Aden 28 septembre 1885.
3 pages petit in-8 l'encre noire.
Magnifique et terrible description d'Aden.
« Mes chers amis,
Je reçois votre lettre de fin août. Je n’écrivais pas, parce que je ne savais si j’allais rester ici. Cela va se décider à la fin de ce mois, vous le voyez par le contrat ci joint, trois mois avant l’expiration duquel je dois prévenir. Je vous envoie ce contrat pour que vous puissiez le présenter en cas de réclamations militaires. Si je reste ici, mon nouveau contrat prendra [effet à partir] du 1er octobre, Je ferai peut-être encore ce contrat de 6 mois. Mais l’été prochain je ne le passerai plus ici, je l’espère. L’été finit ici vers le15 octobre. Vous ne vous figurez pas du tout l’endroit. Il n’y a aucun arbre ici, même desséché, aucun brin d’herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d’eau douce. Aden est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer. On n’y voit et on n’y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent produire le plus mince végétal. Les environs sont un désert de sable absolument aride. Mais ici les parois du cratère empêchent l’air d’entrer, et nous rôtissons au fond de ce trou comme dans un four à chaux. Il faut être bien forcé de travailler pour son pain, pour s’employer dans des enfers pareils ! On n’a aucune société que les Bédouins du lieu, et on devient donc un imbécile total en peu d’années. Enfin il me suffirait de ramasser ici une somme qui placée ailleurs, me donnerait un intérêt sûr à peu près suffisant pour vivre. Malheureusement le change de la Roupie en francs à Bombay baisse tous les jours, l’argent se déprécie partout, le petit capital que j’ai (16000 francs) perd de valeur, car il est en roupies, tout cela est abominable, des pays affreux et des affaires déplorables, ça empoisonne l’existence. La Roupie se comptait autrefois 2 frs 10 cents dans le commerce, elle n’a plus à présent que 1.90 de valeur ! Elle est tombée ainsi en 3 mois. Si la convention monétaire latine est resignée, la roupie remontera peut-être jusqu’à 2 francs. J’ai à présent 8000 roupies. Cette somme donnerait dans l’Inde, à 6% 480 Ries par an, avec laquelle on peut vivre. L’Inde est plus agréable que l’Arabie. Je pourrais aussi aller au Tonkin ; il doit bien y avoir quelques emplois là à présent. Et s’il n’y a rien, là, on peut pousser jusqu’au Canal de Panama, qui est encore loin de finir.
Je voudrais bien envoyer en France cette somme, mais cela rapporte si peu ; si on achète du 4 1⁄2 on perd l’intérêt de deux ans ; et du 3 % ça n’en vaut pas la peine. D’ailleurs au change actuel des Roupies, il faudrait toujours que j’attende, à présent on ne me donnerait pas plus de 1,90 pour paiement comptant en France. 10 % de perte, comme c’est agréable après 5 ans de travail !
Si je fais un nouveau contrat, je vous l’enverrai. Renvoyez moi celui-ci quand vous n’en aurez plus besoin
Bien à vous,
Rimbaud ».
La plupart des lettres d'Abyssinie contiennent de précieux détails éclairant la situation de Rimbaud et elle-ci ne fait pas exception. Mais plus rares sont celles où, comme dans la présente, celui qui, selon la formule de Stéphane Mallarmé, s'était "opéré, vivant, de la poésie", laisse passer quelque chose de son écriture littéraire.
Lorsqu'il écrit cette lettre, Rimbaud est en Abyssinie depuis cinq ans. Employé par la maison commerciale Bardey et Cie, il fait des allers-retours entre Aden et Harar jusqu'en septembre 1885, date à laquelle il quitte Bardey. Le 10 janvier 1885 il avait renouvelé son contrat avec la maison pour une durée d'une année (à 160 roupies par mois). Ce nouveau contrat stipulait que si l'une des parties désirait ne pas renouveler le contrat, elle était tenue d'en informer l'autre "trois mois avant la fin de l'année".
Rimbaud est donc dans à un tournant de sa "carrière" abyssinienne et s'en fait l'écho ici : "Je n’écrivais pas, parce que je ne savais si j’allais rester ici. Cela va se décider à la fin de ce mois, vous le voyez par le contrat ci joint, trois mois avant l’expiration duquel je dois prévenir. Je vous envoie ce contrat pour que vous puissiez le présenter en cas de réclamations militaires. Si je reste ici, mon nouveau contrat prendra [effet à partir] du 1er octobre, Je ferai peut-être encore ce contrat de 6 mois."
Il a en vue un autre engagement, par Pierre Labatut, un négociant de la région du Choa, pour organiser là-bas des caravanes.
Mais la lettre importe surtout pour la terrible description d'Aden qu'il livre à sa famille et l'état d'exaspération qu'elle manifeste, qui ne semble jamais avoir quitté Rimbaud : "Vous ne vous figurez pas du tout l’endroit. Il n’y a aucun arbre ici, même desséché, aucun brin d’herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d’eau douce. Aden est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer."
Comme emporté par sa description, il se laisse aller à une forme de lyrisme, qu'il muselle d'ordinaire : "On n’y voit et on n’y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent produire le plus mince végétal. Les environs sont un désert de sable absolument aride. Mais ici les parois du cratère empêchent l’air d’entrer, et nous rôtissons au fond de ce trou comme dans un four à chaux."
Ce n'est une saison, mais cinq années que Rimbaud vient de passer en enfer. Le terme même est cité dans la lettre "Il faut être bien forcé de travailler pour son pain, pour s’employer dans des enfers pareils !"
"J'aurai de l'or", écrit Rimbaud dans Une saison en enfer. Et ici, sous une forme triviale, comme un écho dérisoire de sa formule : " Enfin il me suffirait de ramasser ici une somme qui placée ailleurs, me donnerait un intérêt sûr à peu près suffisant pour vivre."
A l'enfer extérieur s'ajoute l'enfer spirituel : "On n’a aucune société que les Bédouins du lieu, et on devient donc un imbécile total en peu d’années."
Paysages désolés, société désolante, Rimbaud semble prendre une sorte de plaisir masochiste à décrire sa situation : "Tout cela est abominable, des pays affreux et des affaires déplorables, ça empoisonne l’existence.”
Il n'a certes pas trouvé ce qu'il était venu chercher en Abyssinie (quoi que ce fût), et son éternelle insatisfaction le pousse à échafauder mille nouveaux projets semi chimériques : les Indes, le Tonkin, Panama : "L’Inde est plus agréable que l’Arabie. Je pourrais aussi aller au Tonkin ; il doit bien y avoir quelques emplois là à présent. Et s’il n’y a rien, là, on peut pousser jusqu’au Canal de Panama, qui est encore loin de finir."
Fureur rentrée, lyrisme affleurant, rêves de nouvelles évasions, cette lettre fait assurément partie des très belles que Rimbaud écrivit à sa famille d'Abyssinie.
Elle a été citée pour la première fois en 1897 dans Paterne Berrichon, Vie de Jean-Arthur Rimbaud et, par la suite, dans la plupart des biographies du poète.
Provenance : Pierre Berès (catalogue n° 56) - Du Bourg de Bozas (bibliothèque du château de Prye, Hôtel Drouot, 1990).
Arthur Rimbaud
Lettre autographe signée à sa famille
Daté d'Aden 28 septembre 1885.
3 pages petit in-8 l'encre noire.
Magnifique et terrible description d'Aden.
« Mes chers amis,
Je reçois votre lettre de fin août. Je n’écrivais pas, parce que je ne savais si j’allais rester ici. Cela va se décider à la fin de ce mois, vous le voyez par le contrat ci joint, trois mois avant l’expiration duquel je dois prévenir. Je vous envoie ce contrat pour que vous puissiez le présenter en cas de réclamations militaires. Si je reste ici, mon nouveau contrat prendra [effet à partir] du 1er octobre, Je ferai peut-être encore ce contrat de 6 mois. Mais l’été prochain je ne le passerai plus ici, je l’espère. L’été finit ici vers le15 octobre. Vous ne vous figurez pas du tout l’endroit. Il n’y a aucun arbre ici, même desséché, aucun brin d’herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d’eau douce. Aden est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer. On n’y voit et on n’y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent produire le plus mince végétal. Les environs sont un désert de sable absolument aride. Mais ici les parois du cratère empêchent l’air d’entrer, et nous rôtissons au fond de ce trou comme dans un four à chaux. Il faut être bien forcé de travailler pour son pain, pour s’employer dans des enfers pareils ! On n’a aucune société que les Bédouins du lieu, et on devient donc un imbécile total en peu d’années. Enfin il me suffirait de ramasser ici une somme qui placée ailleurs, me donnerait un intérêt sûr à peu près suffisant pour vivre. Malheureusement le change de la Roupie en francs à Bombay baisse tous les jours, l’argent se déprécie partout, le petit capital que j’ai (16000 francs) perd de valeur, car il est en roupies, tout cela est abominable, des pays affreux et des affaires déplorables, ça empoisonne l’existence. La Roupie se comptait autrefois 2 frs 10 cents dans le commerce, elle n’a plus à présent que 1.90 de valeur ! Elle est tombée ainsi en 3 mois. Si la convention monétaire latine est resignée, la roupie remontera peut-être jusqu’à 2 francs. J’ai à présent 8000 roupies. Cette somme donnerait dans l’Inde, à 6% 480 Ries par an, avec laquelle on peut vivre. L’Inde est plus agréable que l’Arabie. Je pourrais aussi aller au Tonkin ; il doit bien y avoir quelques emplois là à présent. Et s’il n’y a rien, là, on peut pousser jusqu’au Canal de Panama, qui est encore loin de finir.
Je voudrais bien envoyer en France cette somme, mais cela rapporte si peu ; si on achète du 4 1⁄2 on perd l’intérêt de deux ans ; et du 3 % ça n’en vaut pas la peine. D’ailleurs au change actuel des Roupies, il faudrait toujours que j’attende, à présent on ne me donnerait pas plus de 1,90 pour paiement comptant en France. 10 % de perte, comme c’est agréable après 5 ans de travail !
Si je fais un nouveau contrat, je vous l’enverrai. Renvoyez moi celui-ci quand vous n’en aurez plus besoin
Bien à vous,
Rimbaud ».
La plupart des lettres d'Abyssinie contiennent de précieux détails éclairant la situation de Rimbaud et elle-ci ne fait pas exception. Mais plus rares sont celles où, comme dans la présente, celui qui, selon la formule de Stéphane Mallarmé, s'était "opéré, vivant, de la poésie", laisse passer quelque chose de son écriture littéraire.
Lorsqu'il écrit cette lettre, Rimbaud est en Abyssinie depuis cinq ans. Employé par la maison commerciale Bardey et Cie, il fait des allers-retours entre Aden et Harar jusqu'en septembre 1885, date à laquelle il quitte Bardey. Le 10 janvier 1885 il avait renouvelé son contrat avec la maison pour une durée d'une année (à 160 roupies par mois). Ce nouveau contrat stipulait que si l'une des parties désirait ne pas renouveler le contrat, elle était tenue d'en informer l'autre "trois mois avant la fin de l'année".
Rimbaud est donc dans à un tournant de sa "carrière" abyssinienne et s'en fait l'écho ici : "Je n’écrivais pas, parce que je ne savais si j’allais rester ici. Cela va se décider à la fin de ce mois, vous le voyez par le contrat ci joint, trois mois avant l’expiration duquel je dois prévenir. Je vous envoie ce contrat pour que vous puissiez le présenter en cas de réclamations militaires. Si je reste ici, mon nouveau contrat prendra [effet à partir] du 1er octobre, Je ferai peut-être encore ce contrat de 6 mois."
Il a en vue un autre engagement, par Pierre Labatut, un négociant de la région du Choa, pour organiser là-bas des caravanes.
Mais la lettre importe surtout pour la terrible description d'Aden qu'il livre à sa famille et l'état d'exaspération qu'elle manifeste, qui ne semble jamais avoir quitté Rimbaud : "Vous ne vous figurez pas du tout l’endroit. Il n’y a aucun arbre ici, même desséché, aucun brin d’herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d’eau douce. Aden est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer."
Comme emporté par sa description, il se laisse aller à une forme de lyrisme, qu'il muselle d'ordinaire : "On n’y voit et on n’y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent produire le plus mince végétal. Les environs sont un désert de sable absolument aride. Mais ici les parois du cratère empêchent l’air d’entrer, et nous rôtissons au fond de ce trou comme dans un four à chaux."
Ce n'est une saison, mais cinq années que Rimbaud vient de passer en enfer. Le terme même est cité dans la lettre "Il faut être bien forcé de travailler pour son pain, pour s’employer dans des enfers pareils !"
"J'aurai de l'or", écrit Rimbaud dans Une saison en enfer. Et ici, sous une forme triviale, comme un écho dérisoire de sa formule : " Enfin il me suffirait de ramasser ici une somme qui placée ailleurs, me donnerait un intérêt sûr à peu près suffisant pour vivre."
A l'enfer extérieur s'ajoute l'enfer spirituel : "On n’a aucune société que les Bédouins du lieu, et on devient donc un imbécile total en peu d’années."
Paysages désolés, société désolante, Rimbaud semble prendre une sorte de plaisir masochiste à décrire sa situation : "Tout cela est abominable, des pays affreux et des affaires déplorables, ça empoisonne l’existence.”
Il n'a certes pas trouvé ce qu'il était venu chercher en Abyssinie (quoi que ce fût), et son éternelle insatisfaction le pousse à échafauder mille nouveaux projets semi chimériques : les Indes, le Tonkin, Panama : "L’Inde est plus agréable que l’Arabie. Je pourrais aussi aller au Tonkin ; il doit bien y avoir quelques emplois là à présent. Et s’il n’y a rien, là, on peut pousser jusqu’au Canal de Panama, qui est encore loin de finir."
Fureur rentrée, lyrisme affleurant, rêves de nouvelles évasions, cette lettre fait assurément partie des très belles que Rimbaud écrivit à sa famille d'Abyssinie.
Elle a été citée pour la première fois en 1897 dans Paterne Berrichon, Vie de Jean-Arthur Rimbaud et, par la suite, dans la plupart des biographies du poète.
Provenance : Pierre Berès (catalogue n° 56) - Du Bourg de Bozas (bibliothèque du château de Prye, Hôtel Drouot, 1990).
Arthur Rimbaud est un poète français qui a profondément marqué l'histoire de la littérature française. À travers ses poèmes, il a repoussé les limites de l'écriture traditionnelle, remettant en cause les normes poétiques de son temps. Rimbaud a ouvert la voie à de nouveaux mouvements littéraires, tels que le surréalisme et le symbolisme, qui ont changé la façon dont les poètes considéraient la poésie.
Sa vie a été courte et tumultueuse, mais Rimbaud a eu un impact considérable sur la littérature française. Ses poèmes, tels que "Le Bateau ivre" et "Une Saison en Enfer", sont des exemples de sa maîtrise de la langue française et de sa capacité à explorer des thèmes tels que l'amour, la nature et la spiritualité.
Rimbaud a également été un pionnier dans l'utilisation de la poésie en prose, une forme qui était considérée comme peu conventionnelle à l'époque. Cette forme d'écriture lui a permis de créer une nouvelle façon d'exprimer ses idées, en utilisant la prose pour évoquer des images poétiques et des émotions intenses.
Outre son influence sur la poésie, Rimbaud a également inspiré de nombreux artistes dans d'autres domaines, notamment la musique, la peinture et la littérature. Des artistes tels que Bob Dylan, Jim Morrison et Allen Ginsberg ont cité Rimbaud comme une influence majeure dans leur travail.
La contribution de Rimbaud à la littérature française est immense, et son impact continue d'être ressenti aujourd'hui. Sa poésie novatrice et son esprit libre ont inspiré des générations de poètes, d'artistes et de penseurs, et ont ouvert de nouvelles voies dans l'écriture et l'art en général. Rimbaud est un symbole de la créativité et de l'expression personnelle, et son travail est une source d'inspiration pour tous ceux qui cherchent à repousser les limites de leur art.